Les progrès de la résistance
Tout le monde sait que le premier objectif du mouvement de résistance était de repousser l’envahisseur Nazi hors de nos frontières. En revanche, personne ne semble savoir que ces vaillants soldats de l’ombre se rejoignaient autour d’une utopie, un rêve devenu un projet et une réalité politique. L’utopie ne représente pas une idée qui manque de réalisme, mais plutôt une idée qui n’a pas de lieu avant de devenir une nouvelle institution. Ce fut le cas de la république et de la démocratie. Si toutes les utopies ne sont pas réalisées, tout progrès est une utopie réalisée. C’est ce qu’ont porté les membres du Conseil National de la Résistance (C.N.R.), le 15 mars 1944 en s’accordant sur le texte intitulé « le programme du Conseil National de la Résistance ». Alors que les Anglais, les Américains et les FFA se préparent pour le grand assaut, la nécessité d’unité de la résistance se fait pressante, car elle est une pièce importante de la victoire. Unité, car la résistance est fragmentée en de nombreux mouvements d’origines politiques et sociales divers. C’est cette unité qui sera le travail de Jean Moulin. Parcourant la France, il va transformer cette mosaïque en un réseau susceptible d’agir en cohérence contre l’envahisseur. Cependant, la volonté d’unité doit dépasser la fin militaire, car tout le pays sera à reconstruire par la suite.
C’est en réalité cette volonté d’unité militaire et politique qui sera, après de longues négociations, à l’origine de la rédaction de ce texte commun divisé en deux parties : l’une militaire et l’autre, plus importante, politique.
Stratégiquement, il s’agit avant tout de vaincre et de repousser le IIIe Reich. Sous le titre du « Plan d’action immédiate », les FFI engagent les citoyens à des actions de résistance ayant pour seul dessein la libération du pays par des actes pacifiques (comme par exemple cacher et nourrir les réfractaires, les déportés, les résistants ; ou la formation et le soutien de nouveaux réseaux ; ou encore fomenter des mouvements de grève, etc.). Ainsi que des gestes plus belliqueux (de la recherche et la dénonciation des collaborateurs, à l’injonction de prendre le maquis, en passant par la formation des combattants) pour en finir avec la guerre.
C’est cependant la seconde partie qui semble la plus importante tant par la longueur dans le texte que par l’ambition du programme, visant à établir une société plus juste et équitable. Les « Mesures à appliquer dès la libération du territoire » sont les points qui ont fait débat parmi les dirigeants des mouvements de résistance, et qui seront à l’origine des progrès sociaux des trois décennies qui suivront. Au-delà de la libération, les résistants ont conscience de la nécessité de reconstruire le pays, mais ils souhaitent aussi le voir devenir plus juste, plus équitable, plus fraternel. Il en suivra diverses mesures prises par le gouvernement provisoire siégeant de la libération à l’instauration de la IVe république. Ce gouvernement doit permettre la transition rapide entre le gouvernement d’occupation et le retour à la démocratie, la poursuite et le jugement des traîtres. C’est dans ce cadre que ce gouvernement, dirigé par De Gaulle, statuera sur la nationalisation de Peugeot, Renault et Citroën pour faits de collaboration. Mais la volonté du CNR c’est surtout d’être à l’origine des plus grands progrès sociaux de notre époque.
Leur rêve de voir se construire une paix durable reposait, pour commencer, sur « L’éviction des grandes féodalités économiques et financières de la direction de l’économie », en tenant compte avant toute chose de la primauté de l’intérêt général sur le particulier et, grâce à une politique de planification négociée à toutes les échelles de la nation, de la production au patronat. Un des moyens de cette éviction est « La nationalisation des grands moyens de production d’énergie, des compagnies d’assurance, des banques et des moyens de transport », d’où la création d’EDF, GDF, loin d’être une concession aux communistes, ce point était également essentiel au projet gaulliste lui-même. Un autre moyen est « Le développement et le soutient des coopératives de production, d’achat et de vente », afin d’éviter l’établissement des grands pouvoirs financiers, une volonté sociale et solidaire de voir participer les travailleurs à leur entreprise.
Pour les travailleurs il s’agit, dans le corps même du texte, de « renforcer le droit du travail, par un droit au repos, une amélioration du régime contractuel, un ajustement du salaire pour assurer au travailleur et sa famille sécurité, dignité et la possibilité d’une vie pleinement humaine, le rétablissement d’un syndicalisme indépendant et la réglementation des conditions d’embauche et de licenciement », d’où sont issus des droits tels que le CDI, les indemnités de licenciement, la reconnaissance de maladies professionnelles, la possibilité de négocier des conventions collectives, etc.
Enfin, dans l’intérêt de tous les citoyens, l’établissement de la sécurité sociale, de l’accès de tous à l’éducation, une nouvelle étape prolongeant l’instruction obligatoire par Jules Ferry, rendant possible un accès plus équitable aux études ; tous ces projets devant se construire en garantissant un certain niveau de vie.
Soucieux d’égalité, les rédacteurs du programme n’oublient pas les populations indigènes des colonies qui doivent aussi bénéficier des mêmes droits. Beaucoup de choses sont issues de ce projet, des idées qui, dès la sortie de la guerre sont mises en place par un gouvernement composé paritairement de gens de droite et de gauche. Ce gouvernement, malgré l’état de ruine du pays, a su immédiatement relancer toute l’activité nationale.
Il est notable que les résistants ne se sont pas seulement battus contre le pouvoir totalitaire des Nazis, mais aussi pour un mieux être pour tous. A l’heure où on remet en question les acquis issus de ce projet, il est bon de rappeler que leur combat ne s’est pas limité aux armes, ils ne se sont pas seulement sacrifiés pour la liberté, mais aussi pour l’égalité et la fraternité. Une nation libre est également une nation où tous les hommes vivent dans un pays assurant un avenir équilibré pour tous.
JANSEN Eric